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Élève Himmler, doué mais peut mieux faire
mercredi 8 juin 2016
Lorsqu’il demande à Anne-Marie quand elle consentira à l’embrasser, elle lui rétorque : la semaine des quatre jeudis. Vous êtes une vilaine fille ! lance alors à deux reprises l’impérial clochard Michel Simon en direction de la bonne du distingué monsieur Lestinguois, dans le chef-d’œuvre libertaire de Jean Renoir Boudu sauvé des eaux (1932). Le clochard Boudu, sauvé de la noyade volontaire et recueilli par l’honorable libraire Lestinguois, se fait remettre à sa place par la bonniche car ladite bonniche est au service d’un couple de petits bourgeois et tire de cet emploi, outre le fait qu’elle est la maîtresse de son employeur, une position sociale de beaucoup supérieure à celle d’un quelconque va-nu-pieds. La méchanceté d’Anne-Marie est gratuite mais limitée par l’absence de pouvoir qui l’empêche de se montrer vraiment humiliante. Et puis, elle n’est pas foncièrement méchante. Boudu est, quant à lui, intouchable ; il n’a rien, on ne peut donc rien lui prendre, pas même sa vie puisqu’il avait choisi au début du film de mourir.
C’est l’insupportable vulnérabilité des réfugiés qui leur interdit de manifester quelque orgueil. Le clochard est une figure d’antan, aujourd’hui le sans domicile fixe ne se soucie guère de sa liberté, pour en faire quoi ? Il est désormais tenu d’accepter ce qu’on lui propose, quand on lui propose quelque chose, y compris l’hébergement d’urgence et donc temporaire, voire le camp de rétention. Pour qu’elle soit véritablement efficace, la méchanceté exige que l’on en ait les moyens. C’est pourquoi les forces de l’ordre, quelles qu’elles soient, et les pouvoirs administratifs sont seuls à pouvoir s’offrir le luxe d’une méchanceté cinglante. Au-dessus, les hommes politiques, élus ou non, parviennent à se satisfaire de l’arrogance, du mépris et/ou de l’indifférence. Les petits chefaillons, qui n’ont pas peur de se salir les mains, sont capables de hisser la méchanceté ordinaire jusqu’au sadisme, à condition bien sûr d’être couverts par leurs supérieurs hiérarchiques. On peut certes s’interroger sur les motivations profondes de tels exécutants, rassurons-nous toutefois car elles ne peuvent être que louables : la sécurité, la défense, l’obéissance ou, plus modestement, le plaisir. Car ce n’est pas un vain mot, d’aucuns parviennent facilement à l’orgasme lorsque la victime s’effondre et avoue (sous la menace du viol simultané de sa fille, sa mère et sa grand-mère – son épouse ayant déjà la bouche pleine) sa participation au crash du vol AF 447 Rio-Paris ainsi qu’à la défaite du Bayern Munich face à l’Atlético de Madrid.
On a beaucoup médit sur la méchanceté supposée des troupes nazies lors de l’Occupation, peut-être serait-il temps dorénavant de questionner les survivants d’Oradour-sur-Glane sur leur réelle hospitalité vis-à-vis de voisins qui ne parlaient pas notre langue. N’y aurait-il pas quelque exagération à vilipender en des termes souvent peu courtois la manière dont les croisés d’Orient tentent de convertir à leurs croyances des populations dont le foie est dédié à Paul Ricard et la foi à Jean-Pierre Pernod ? Plutôt que d’espérer en vain d’Anne-Marie qu’elle vous offre ses lèvres la semaine des quatre jeudis, n’est-il pas préférable d’embaucher en stage de formation à temps partiel et non rémunéré une chômeuse (ou un chômeur, à chacun selon ses goûts) en lui promettant un débouché dans une start-up développant la vente en ligne de produits dopants dans les pays émergents ?
Non, la méchanceté n’est nullement condamnable, elle est humaine. Avec certes plus ou moins de talent à la clef elle est inscrite en chacun de nous, il suffit de faire fructifier de telles dispositions en dénichant la victime plus ou moins idéale dont la faiblesse craintive ne demande qu’à être encouragée, stimulée afin qu’elle s’épanouisse pour notre seule volupté. L’homme a notamment le pouvoir de se reproduire afin de s’entraîner sur ses enfants tant qu’ils sont encore sans défense et il peut aussi, en toute légalité, s’exercer sur son épouse ou sa compagne du moment mais ce n’est pas sans risque car celle-ci est tout à fait capable de se révéler plus douée que lui ; dans le pire des cas il fera l’acquisition d’animaux domestiques de petite taille. Tout le monde ne saurait être en mesure de diriger une nation ou une importante multinationale, il importe de demeurer raisonnable et d’adapter son plaisir en fonction de ses capacités et de ses ambitions. Même modeste, la méchanceté peut faire très mal.
Charles Novak
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