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Brochure des habitant.es du Mas des Prés (Reillanne)

Notre-Dame-des-Prés (04) : retour sur trois mois d’occupation

vendredi 14 avril 2017

En bref

  • Quatre voyageur.euses ouvrent une maison fin décembre 2016 à la recherche d’un toit sur Reillanne
  • Illes apprennent que le lieu est vide depuis 15 ans pour cause d’un projet de construction bloqué par la mairie de Reillanne
  • Aussi que la vaste bâtisse cristallise plusieurs rêves et désirs de la part de la population environnante depuis une dizaine d’années et la situation semble être l’occasion d’y faire quelque chose collectivement
  • Un appel est transmis entre plusieurs Reillannais.es et voisin.es pour relancer un projet socio-culturel qui profite aux habitant.es, la machine se met en marche
  • Fin mars : création d’une association dans le but de négocier un « bail » légalisant avec la propriétaire
  • Problème : les occupant.es devraient partir pour laisser la proprio faire travaux de démolition et rester dans la une stratégie de négociation avec elle
  • Les mêmes quatre et quelques uns en plus qui passent pas mal de temps sur le lieu en appellent à joyeusement et dès maintenant faire fleurir des événements ensemble le temps que ça dure.

Ça dépend pas mal de nous, ça dépend pas mal de vous !

Pourquoi ce texte ?

Peut-être sais-tu que quelques personnes occupent depuis fin Décembre un ancien couvent dans le bas Reillanne connu sous le nom de Mas des Prés. (Si tu ne le savais pas, on espère te montrer que c’est une bonne nouvelle). Nous sommes les quatre premier.es habitant.es du lieu. Aujourd’hui, fin mars, on écrit ce texte pour diffuser l’histoire de cette occupation, et dans le meilleur des cas, d’inspirer chez toi des envies pour les semaines à venir qui sont peut-être les dernières.

Les débuts ou chaque chose en son temps : faire un chez-soi

Fin décembre, Toni et Urtzi qui vagabondent depuis deux mois dans la région et dorment dans une fourgonnette et une tente commencent à sérieusement se geler les miches. Sont alors bien contents d’avoir largué un passé d’ « actifs » pour se contenter des quelques euros récoltés en jouant la rumba sur les marchés du 04, et n’ont pas d’aide de l’État. Sans avoir jamais squatté auparavant ni vraiment savoir de quoi il en retourne en France au niveau juridique, il s’agit d’ouvrir une maison pour passer le coup de froid deux ou trois mois avant de repartir. Ayant reçu l’accueil et l’amitié de la Gwen que vous voyez vendre tisanes sur le marché, ils passent pas mal de temps à Reillanne et commencent à chercher une maison dans le coin. Pas vraiment d’ambition sinon des murs qui tiennent et une cheminée.

Je suis avec eux à ce moment-là, et on commence à comprendre qu’on a affaire à un territoire un peu spécial : un tiers des maisons ont l’air inhabitées. La plupart, rachetées par des propriétaires aisés qui vivent le reste de l’année en ville, en Suisse ou en Allemagne y viennent trois mois par anpasser leurs vacances. En allant jeter un œil à une bicoque abandonnée, les copains tombent en face sur la bâtisse du Mas des Prés sans connaître l’histoire du lieu, trouvent une fenêtre cassée qui indique peut être une occupation antérieure, une salle avec une cheminée, et restent là. Ils voient directement le potentiel du lieu, mais vu leurs moyens, la patience s’impose : premièrement, installer une maison vivable, propre et confortable canalise toutes leurs énergies. Malgré les milliers de mètres carrés, c’est surtout dans les quelques uns qui font face à la cheminée qu’ils passent la plupart du temps.

Début janvier, Clara les rejoint. Elle est sur la fin d’un court stage à Salagon qui suit son master d’anthropologie à Nanterre et se débrouille pour pas bosser sans non plus d’aides de l’État, elle est comme eux une voyageuse qui a débarqué dans la région deux mois auparavant, jusqu’alors hébergée en l’échange de coups de mains chez un homme âgé. Elle a pas mal fréquenté les milieux libertaires mais n’a jamais fouillé les questions juridiques liées au squatt. S’engage un petit travail de lecture et d’information. A terme, on se sait à l’abri pour trois mois au moins, et on en demande pas plus.

Mi-janvier c’est Melissa, qui cohabitait avec sa sœur et son bébé dans un mobil-home qui rejoint le trio. Elle rentre tout juste de voyage, la saison de maraîchage est finie, et veut donner une chance à ce lieu. En somme, tout part du souci d’avoir un lieu où vivre. Il s’agit déjà d’apprendre à se connaître et d’accommoder un lieu chaud. On peut vivre sans électricité et eau courante grâce à la petite rivière qui coule sur le terrain et la fontaine potable du village, et on évite de précipiter nos forces. On se tente d’agir au mieux face aux passages des gendarmes, d’un copain du proprio qui se fait passer pour lui, barricade un peu, rencontre la mairie et quelques Reillannais, nettoie la jungle environnante, trie les centaines de clés, noircit toutes les casseroles à faire des soupes sur le feu. L’idée c’est d’abord de le faire au mieux « como una puta casa » comme répète Urtzi pour nous motiver à soigner le lieu et qui refuse qu’il s’apparente à ce que certains d’entre nous ont vu de squatts un peu bordéliques.

Lancer un appel, ouvrir aux voisin.es

Passé quelques semaines, on commence à réunir des copains de Forcalquier le lundi après-midi pour des jams en espérant que cela draine des initiatives – que nenni, en vrai, tout le monde a une maison et personne n’est vraiment attiré pour le côté vie de clodo et os qui grelottent à ce moment de janvier- février. On en rigole bien de notre vie de clodo dans ce qu’on appelle ironiquement « la château », estimé à un million par un article sur le Figaro, et on écrit un petit scénario pour faire un court métrage à la fois parodique et documentaire sur notre vie et ses absurdités à ce moment-là. La tourneuse ayant eu un petit contretemps et actuellement en voyage profitons-en pour passer l’annonce :

*** Mise en bouche : le couvent devient le décor d’un jeu télévisé Tf1 « Gagne ton château ». S’affrontent une aristocrate bipolaire, un homme d’affaire suisse, et un groupe de squatteurs désargentés qui remportent l’émission par une épique rétrospective de leurs stratégies de survie.
Tu as une caméra ? Tu veux venir te payer quelques tranches de rigolade à l’occasion d’une petite journée de tournage sans prétention ? ***

On se rend bien compte que les milliers de mètres carrés de chambres, de terres, la chapelle de huit mètres de hauteur ou l’imposante bambouseraie, le tout situé dans un village qui fait ses preuves de sympathies et de dynamisme culturel regorgent de promesses. On commence alors, en même temps, à diffuser l’info : le squatt est ouvert. Il appelle de toute évidence à un groupe plus nombreux, et à des gens qui possèdent davantage de ressources relationnelles et matérielles. Tous les quatre, on aimerait voir se développer ces possibles, et y participer : accueil de migrants et mal-logés, d’ateliers, synergies d’activités diverses qui peuvent se rencontrer et interagir dans le même lieu, fêtes ! Des fêtes créatives qui soient un formidable catalyseur de solidité pour un territoire et un village comme on en a vu ailleurs, comme vous l’avez peut être vu au Grand Bouillon...

Notre-Dame-des-Prés : pèse ta mémoire

Ce qu’on découvre peu à peu, c’est qu’en terme de discrétion, on pouvait pas faire pire. C’est peut être le lieu le moins anodin à occuper dans le coin. Sans le savoir, on s’est niché entre des murs historiques.

Une plaque commémorative nous informe qu’il y a eu une déportation durant l’holocauste. Mais le bâtiment donne surtout des preuves évidentes de son dernier usage en date : un accueil de colonie de vacances pour parisiens, cessé depuis 95 : affiches moralisatrices, un martinet dans les placards, tables d’écoliers, chambres collectives, jeux de plein air... qui colorent un peu les souvenirs qui hantent le lieu.

C’est ainsi, en parlant avec certains Reillannais informés, que l’on apprend que le lieu a été la cible de convoitises et de conflits qui s’accumulent depuis plus d’une décennie. En 2006, un groupe de citoyens et une pétition avaient permis que le bâtiment patrimonial demeure un bien public, puis avait été quand même vendu en douce à une millionnaire pour une bouchée de pain, en 2012, ce qui avait attisé l’indignation.

L’avenir du lieu : notre position

En creux, s’il fallait nous qualifier, bien qu’on ne porte pas de démarche politique affirmée, on se rejoint sur certaines valeurs. Même si elles nous semblent évidentes, c’est sûrement utile de les nommer plutôt que de les penser tacitement partagées : on veut un lieu qui puisse se passer au plus de dominations diverses, de hiérarchies et de centralisation (que ce soit par un bureau, d’une tendance, d’une idéologie...). Globalement, on souhaite voir s’établir un lieu de convivialité, d’information, où chaque démarche soit soucieuse de son impact écologique, un lieu à portée sociale et culturelle – termes qui sont volontairement larges pour accueillir la diversité de projets qui peut être logée dans ces milliers de mètres carrés.

Mais en deçà de ces envies positives il nous semble clair que toute initiative sur le lieu se fonde sur une opposition commune, l’empêchement du projet de la propriétaire actuelle : une certaine Pozzo di Borgo, millionnaire qui possèderait d’après son architecte entre autres des immeubles sur les Champs Élysées, et pour qui le Mas des Prés équivaut à une poignée de cacahuètes. Elle souhaite établir une maison de retraite et d’accueil de luxe, projet constamment renfloué par la mairie qui y voit un non-sens pour le territoire reillannais, et une impossibilité technique quant aux ressources en eaux et évacuations que cela demanderait. A notre avis, c’est aussi un usage qui va simplement accentuer l’embourgeoisement de la région qui déloge les non-possédants qui pouvaient encore se permettre il y a quarante ans dans la vague du « retour à la terre » de venir par ici inventer leur vie sans avoir besoin de trop de sous.

Cette (op)position nous semble être la base et le point de fédération sur lequel fonder tout projet de réappropriation du Mas des Prés. L’avis est partagé par la mairie elle-même et a déjà auparavant agité des militants reillannais qui avaient formé en 2006 un « Observatoire » pour s’opposer aux projets pourris qui viendrait menacer la bâtisse (on entend par pourri lucratifs, pour privilégiés, et/ou dévastateur du point de vue écologique, le tout allant le plus souvent ensemble). Ainsi se présente un concours de circonstances plutôt intéressant : le projet est bloqué depuis une dizaine d’années,la mairie ne voulant pas accorder le permis de construire, et la propriétaire est selon son architecte tellement friquée qu’elle ne fait pas grand cas de l’avenir de ce petit domaine paumé en Provence. Par contre, les artistes et les gens d’ici y voient un fabuleux espace pour le développement de la vie associative, artistique, sociale.

Fin mars : la situation, les espoirs, les besoins

Mi-Février on rassemble du monde sur place histoire de lancer plus haut et fort l’appel aux initiatives et au soutien, ce qui a lieu. Faut dire que plusieurs personnes de Reillanne en parlaient depuis plusieurs années déjà. L’événement de l’occupation par une poignée d’étrangers a comme relancé, ou lancé concrètement, la mise en place d’un projet. Quelques personnes enchaînent plusieurs réunions qui aboutissent à un projet d’association qui viserait à négocier la signature d’une convention avec la proprio, c’est-à-dire la jouer légal. Se permettre d’avoir un lieu sur du plus long terme, débarrassés de l’incertitude et de la précarité du risque d’expulsion. Cela a aussi pour but d’élargir le spectre d’inclusion, sachant que plusieurs sont réticents à ce qu’ils imaginent des squatts. Aujourd’hui, paraît qu’on doit fiche le camp dans 3 semaines pour leur permettre de commencer leurs travaux dans un mois. Alors là on vous pose la question à toutes et à tous, même aux sombres ou clair.es inconnu.es qui sont simplement tenté.es de venir faire un tour au monastère : Qu’est-ce qu’on fait d’ici là ? On essaye de profiter ensemble de l’espace le temps qu’il reste ?

Y’a eu des réunions, qui se sont allongées, des processus de prises de décisions collectives qui rament un peu, des complexités peu démêlées, et tout cela se comprend, et chapeau à tou.tes celleux qui y mettent du leur... Mais tandis que les réunions se contenteraient de moins de personnes (les autres pouvant consulter les compte rendus par exemple),ou d’un temps plus réduit pour faire avancer la réflexion efficacement, survient notre proposition qui en vient à concerner à ce moment-là TOUT LE MONDE :

*** L’action, l’agissement, la sueur, l’erreur, le détail charnel, toutes ces choses que consume le présent. ***

Toi, tes envies et tes talents y sont vivement recommandéEs, la plupart des salles sont encore vides et te tendent les bras, viens donc écrire une petite couche d’histoire heureuse sur ce passé houleux...
Qu’est-ce que tu rêves de faire dans une chapelle ? Sur un terrain verdoyant ? Dans une piscine à grenouilles ou dans des salles vides ?
Pourquoi pas y déplacer ton atelier de modèle vivant ou ta jan entre potes, et le simple déménagement occasionnel de l’activité sera du même coup le meilleur des soutiens.
De nôtre côté ; on lance quelques activités pour ces prochains jours, d’autres dates tombent d’ici peu.

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